Exercices pour la clef 15B

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exercice 1

Le texte qui suit parle abondamment de ces hommes sympathiques que sont Bill Gates et de Larry Ellison. Mais dans le fond, à quoi veut vraiment en venir l'auteur?

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Bill Gates l'hypocrite et Larry Ellison le tueur

Bill Gates ne sera bientôt plus l'homme le plus riche du monde. Depuis la récente chute de l'action Microsoft, il est au coude à coude avec le patron d'Oracle, Larry Ellison, un gars vraiment féroce. Gates et Ellison ont chacun une fortune d'environ 50 milliards de dollars, mais, en un an, le cours de l'action Oracle a été multiplié par cinq, tandis que celle de Microsoft a baissé de 14%. Ellison, qui a longtemps envié Gates, doit être ravi. Et, en fait, nous devrions tous l'être. Car enfin ce ne sera plus un personnage unanimement perçu comme un ringard introverti et gentillet qui sera à la tête des 400 premières entreprises du classement de Forbes. Non qu'Ellison soit un gentil, fort au contraire. Il n'a rien du gentil et il s'en vante. Il n'a jamais prétendu être autre chose que le capitaliste rapace qu'il est. Assoiffé de réussite, il jubile ouvertement, se vautre ostensiblement dans sa fortune obscène et ne cherche même pas à cacher sa férocité d'homme d'affaires derrière un masque de crâne d'oeuf éternellement gaffeur.

Pour réussir à ce niveau vous devez être un parfait requin

En d'autres termes, Ellison affiche une image plus honnête de la philosophie actuelle du capitalisme américain, dont les mots d'ordre sont "tuer ou être tué", "dévorer ou mourir". Cet esprit est poussé à l'extrême dans le monde des technologies de pointe. Dans leur jargon quotidien, les grands magnats, les petits pontes et les aspirants caïds de la Silicon Valley parlent de "posséder" les marchés et d' "anéantir" la concurrence. "Au fond, toutes les grandes entreprises de haute technologie, toutes celles qui sont parvenues en haut de l'échelle, sont dirigées par des assassins sanguinaires", remarque Mitchell Kertzman, trois fois patron de ce type d'entreprises et aujourd'hui à la tête de Liberate Technologies, une société cotée en Bourse dont le siège se trouve dans la Silicon Valley. "Pour réussir à ce niveau, vous devez être un parfait requin." Ses meilleurs exemples sont Ellison et Gates.

Un bref survol de la carrière de Gates témoigne de la férocité du personnage: il a compris le potentiel économique de l'informatique au moment même où il a posé le regard sur un ordinateur. Avant de quitter le lycée, il avait déjà fondé trois affaires et rêvait de peser au moins 1 milliard de dollars à 25 ans. Nul n'ignore qu'il a quitté Harvard avant la fin de ses études pour saisir la première occasion de faire fortune. Contrairement à la réputation qu'il cultive soigneusement, le véritable exploit de Gates tient davantage à son talent pour les affaires qu'à ses compétences en matière de technologie. Depuis le début des années 80, il n'a plus écrit une seule ligne de code pour Microsoft. Au début des années 90, un ancien lieutenant de Gates confiait à Business Week que, chez Microsoft, il avait toujours eu l'impression de jouer "des parties de poker machiavéliques... On dissimulait certaines choses, quitte à en faire pâtir des collègues avec qui on travaillait." Lorsque Microsoft s'allie à une entreprise, ce n'est que pour lui faire concurrence un an plus tard, en commercialisant un produit qui ressemble étrangement au sien. Dernièrement, le juge Thomas Penfield Jackson a accusé Microsoft d'écraser les innovations "au simple prétexte qu'elles ne correspondent pas aux intérêts particuliers de Microsoft". Et voilà pour la réputation de Gates, qui voudrait faire croire qu'il est plus attaché au progrès qu'à l'argent. En dépit de ces preuves accablantes, Microsoft a pourtant réussi à donner de Gates l'image d'un passionné d'informatique désintéressé, d'un milliardaire malgré lui qui n'aime rien tant que bricoler avec ses joujoux de haute technologie. Si bien que, dans les sondages de popularité, Gates arrive toujours parmi les dix personnalités les plus admirées des Américains.

Il y a fort à parier qu'Ellison ne pourra jamais revendiquer une telle cote d'amour. Contrairement à Gates, il n'a jamais prétendu être un homme comme les autres avec seulement un budget égal à celui du Nigeria. Quand il a été invité à l'émission Oprah, il a demandé à l'équipe de le filmer au volant de sa Bentley décapotable de 350 000 dollars et dans le cockpit de l'un de ses avions. À en croire l'ouvrage de Mike Watson*, quelques heures à peine avant son troisième mariage, Ellison a mis un contrat de mariage en forme d'ultimatum sous le nez de sa promise ("soit tu signes, soit on ne se marie pas") et l'a quittée quelques mois après la naissance de leur deuxième enfant. Lorsqu'il a été attaqué en justice par une salariée d'Oracle pour licenciement abusif -- il a d'abord accepté de lui verser 100 000 dollars d'indemnités dans le cadre d'un accord à l'amiable, mais l'a ensuite lui-même traînée devant un tribunal et a récupéré son argent --, on s'est aperçu qu'il sortait avec trois de ses employées à la fois. Lorsque la plaignante a déclaré qu'Ellison lui avait promis de lui acheter une Acura NSX de 50 000 dollars [350 000 FF], il a été contraint d'avouer qu'il n'avait pas acheté moins de quatre voitures de ce type cette année-là.

Tous deux ont adopté des stratégies de destruction de masse

Comme Gates, Ellison n'a reculé devant rien pour se hisser au sommet de son créneau des technologies de pointe: la base de données. "Chez Oracle, nous ne cherchions pas simplement à battre un concurrent, nous voulions le détruire", explique Jerry Held, ancien cadre de l'entreprise. "Il fallait continuer à le frapper, même lorsqu'il était à terre. Et, s'il remuait encore un petit doigt, il fallait lui écraser la main." Aux débuts d'Oracle, qui a été fondée en 1977, Ellison clôturait toutes les réunions de travail en scandant: "On va les tuer! On va les tuer!" Et, de fait, l'entreprise avait la mauvaise réputation d'être capable de tout pour décrocher un contrat. Une équipe très sérieuse de consultants a conclu que les clients d'Oracle avaient tendance à considérer l'entreprise comme une "bande d'escrocs, de voleurs et de bandits". "Nous sommes des carnassiers, ici", rappelait toujours Ellison dans le discours de bienvenue qu'il prononçait à l'intention des nouveaux employés d'Oracle. En recevant ses instructions, Nancy Stinnette, ancien cadre supérieur du service marketing d'Oracle, avait toujours un haut-le-coeur. "Larry demande qu'on leur foute ça dans le cul. Larry veut qu'on leur envoie un bon coup de pied dans les couilles", s'entendait-elle dire régulièrement. Comme Microsoft, Oracle a eu sa part de problèmes juridiques. Dès le début des années 90, l'entreprise a été poursuivie par la Commission des opérations de Bourse, qui l'accusait entre autres d'avoir facturé deux fois des produits et des services, réclamé le paiement de travaux qui n'avaient jamais été effectués, négligé d'effectuer des remboursements et porté en comptabilité des revenus que l'entreprise n'était pas sûre de toucher. Finalement, l'affaire n'a pas été portée devant le tribunal, Oracle ayant accepté de payer une amende de 100 000 dollars sans toutefois reconnaître sa culpabilité.

On ne peut pas dire que Gates et Ellison sont faits du même bois. Geoffrey Moore, acteur et grand pontife de la Silicon Valley qui a observé les pratiques commerciales d'Oracle avec un sentiment d'admiration mêlé d'horreur, qualifie Ellison de "samouraï", précisant qu'il "cache moins sa férocité que Gates. Tous deux ont systématiquement adopté des stratégies de destruction de masse, mais, tandis que Gates est simplement très efficace, Larry donne l'impression d'assouvir un besoin." En d'autres termes, ils n'ont pas plus de scrupules l'un que l'autre, mais Gates s'en vante moins.

Pour l'heure, tout le monde ne connaît pas le nom de Larry Ellison. Mais cela va changer s'il devient l'homme le plus riche de la planète. On ne parlera plus que de lui dans les médias et de plus en plus de gens verront dans son arrogance et ses excès la véritable nature de la nouvelle économie. Ce ne sera certes pas joli à voir, mais c'est parce que la nouvelle économie n'a en effet rien de très joli.

Article de Gary Rivlin, paru dans THE NEW REPUBLIC et tel que traduit et reproduit dans le COURRIER INTERNATIONAL (http://www.courrierinternational.comlien externe), numéro 499, 25 mai 2000.

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© Victor Thibaudeau, mai 2008