Exercices pour la clef 16A

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exercice 1

Voici une série de trois textes. Le premier est un article que Claude Piché, chroniqueur économique au journal La Presse, a écrit au début du mois de mars 2001. Son article illustre, au moyen de l'exemple d'une dame qui a communiqué avec lui, la qualité souvent médiocre du service qu'offrent les banques à leurs clients. Le deuxième texte est celui de la chronique qu'il a publiée quelques jours plus tard. Il raconte à ses lecteurs que le chef des relations de presse de la Banque Nationale lui a écrit, suite à sa première chronique. Le troisième texte ici reproduit est justement la réaction de cet employé de la Banque Nationale.

Textes de base pour l'exercice
(les problèmes seront présentés à la suite des textes à l’intérieur d’une nouvelle fenêtre)

Version imprimable des textes


Premier Texte

Chiens dans un jeu de quilles

Il fut un temps où les banques canadiennes étaient perçues comme des institutions crédibles et responsables. Elles pouvaient se présenter comme des partenaires prêts à épauler les petites entreprises en démarrage et à les accompagner dans leur développement. Leurs clients, y compris les petits épargnants, pouvaient compter sur un accueil toujours courtois et empressé. Pour offrir un service plus accessible, les banques mettaient un point d'honneur à maintenir un réseau étendu de succursales, même si certaines d'entre elles perdaient de l'argent. Autrement dit, il n'était pas exagéré de dire qu'elles se comportaient en bons citoyens corporatifs. Si j'en juge d'après vos commentaires, amis lecteurs, cette époque est révolue. Les banques sont en train, si ce n'est pas déjà fait, de bousiller le capital de sympathie qu'elles avaient mis des années à édifier.

Je ne parle pas ici des profits des banques, ou des salaires de leurs présidents, mais de la détérioration du service à la clientèle, qui concerne plus spécialement les petits épargnants, les personnes âgées qui ont de la difficulté à maîtriser les nouvelles technologies, les clients peu familiers avec la complexité et l'abondance des nouveaux produits financiers. Rien n'illustre mieux cette détérioration qu'une anecdote qu'on a récemment portée à mon attention.

Madame L., une enseignante de 53 ans, a commencé il y a 12 ans à contribuer à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER). Elle prévoit prendre sa retraite dans quelques années. Hors REER, elle détient un petit portefeuille d'actions, mais pour son REER, elle préfère la sécurité des dépôts garantis. Elle a toujours fait affaire avec la même employée, à la même succursale de la Banque Nationale, et a toujours obtenu entière satisfaction.

"C'était tout simple, raconte-t-elle. Chaque année, on m'appelait pour m'informer de l'état de mes placements REER. Je passais à la succursale, où on m'expliquait clairement les taux du marché en fonction des différents termes. Je faisais mes choix en conséquence, en prenant soin de diversifier les dates d'échéance, et j'en profitais pour effectuer ma contribution annuelle. Tout cela prenait à peine 15 minutes, et c'était un système avec lequel je me sentais parfaitement à l'aise."

Elle a même essayé, à un moment donné, de faire affaire avec une autre institution financière, mais est revenue à sa succursale de la Banque Nationale, qui lui offrait un bien meilleur service. C'est dire à quel point cette banque avait réussi à fidéliser cette bonne cliente. Bravo!

Cette année, point d'appel, mais une lettre lui enjoignant de prendre un rendez-vous avec une nouvelle conseillère financière. Prend le téléphone, appelle la banque, demande ce qui se passe. On lui répond que ces changements ont été apportés dans le but d'offrir des "services personnalisés" à la clientèle.

--"Mais je ne veux pas de service personnalisé, tout ce que je veux, c'est renouveler mes dépôts et faire ma contribution dans un REER; est-ce possible?"

Ben non, c'est pas possible! Il faut prendre rendez-vous. Prend donc rendez-vous. La jeune conseillère la reçoit avec 12 minutes de retard (avant, cela prenait 15 minutes pour tout régler). Le ton est sec, pour ne pas dire cassant. La conseillère débite son boniment sur les produits disponibles, utilisant un charabia technique incompréhensible pour la cliente.

Lorsque celle-ci demande des éclaircissements, c'est tout juste si elle ne se fait pas traiter de débile. Lorsque la cliente ose dire, poliment et même avec une pointe d'humour, que le service lui semblait meilleur avant, elle se fait dire que "c'est maintenant comme ça dans toutes les banques". La conseillère ajoute, sur un ton agressif, qu'elle en a plein les bras avec les 400 dossiers REER qu'on lui a confiés, et qu'elle n'est pas capable de faire mieux.

"Je me suis sentie traitée comme une enfant, pire, comme un chien dans un jeu de quilles", relate la cliente qui, ai-je besoin d'ajouter, a déjà commencé à magasiner pour trouver une institution plus accueillante.

Ce cas, que je rapporte avec force détails parce que je suis absolument certain de mes informations, n'est pas unique. Mon collègue Michel Girard, spécialiste des finances personnelles à La Presse, reçoit régulièrement des plaintes de petits épargnants traités cavalièrement par les banques.

La Banque Nationale engloutit des millions de dollars en publicité chaque année, pour vous convaincre de lui confier votre REER. Ne pourrait-elle pas aussi prévoir quelque petit budget, quelque part, pour mieux former son personnel? Je ne parle pas ici de formation dans le secteur du placement et des finances personnelles; la jeune conseillère dont nous venons de parler affiche fièrement son diplôme sur le mur de son bureau. Le drame, c'est que personne ne lui a visiblement montré à parler au monde comme du monde.

C'est d'autant plus grave que les institutions financières ont créé, avec les années, toute une panoplie d'outils de placement, tous plus sophistiqués les uns que les autres. Il est devenu tellement difficile de s'y retrouver que même les experts parlent de la "jungle des REER". Comment voulez-vous que le commun des mortels s'y sente en sécurité?

C'est une question, en tout cas, que la Banque Nationale a manifestement oublié de se poser. Répétez ce genre de dérapage à des milliers d'exemplaires, et demandez-vous, après cela, pourquoi les banques ont de plus en plus mauvaise réputation auprès des petits épargnants...

Claude Picher, LA PRESSE, jeudi 1er mars 2001.

Deuxième Texte

La parole est au chef des relations de presse

Vous avez peut-être eu l'occasion de lire, dans ma chronique de jeudi, la désolante histoire d'une cliente de la Banque Nationale qui s'est fait accueillir cavalièrement lorsqu'elle a voulu déposer dans son régime enregistré d'épargne-retraite (REER).

Cette chronique m'a valu un abondant courrier; à une ou deux exceptions près, vous avez tous des histoires d'horreur du même acabit à raconter: charabia incompréhensible, heures d'ouverture absurdes, personnel non courtois, obligation de prendre des rendez-vous au moindre prétexte.

Mon collègue Michel Girard, spécialiste des finances personnelles à La Presse, reçoit environ 200 lettres par semaine; la moitié, environ, expriment le mécontentement des gens à l'égard de certaines institutions. Revenu Québec, à lui seul, compte pour environ la moitié des plaintes. Les institutions financières, principalement Desjardins et la Banque Nationale, arrivent en deuxième lieu. Ce n'est pas que ces deux institutions soient pires que les autres; leur domination du marché est telle qu'il est normal qu'elle fassent l'objet d'un plus grand nombre de plaintes, puisqu'elles ont un plus grand nombre de clients.

Il est évidemment impossible de chiffrer le phénomène, mais il semble assez clair que beaucoup de gens considèrent qu'il y a eu détérioration du service à la clientèle. À partir d'un exemple concret, c'est ce phénomène que je voulais faire ressortir dans ma chronique.

Le chef des relations de presse de la Banque Nationale a réagi. Sa lettre est tellement révélatrice d'une certaine façon de penser que, pour la première fois en 13 ans, je me sers de cette chronique pour reproduire intégralement la lettre d'un correspondant. Je vous laisse le soin de juger vous-mêmes, amis lecteurs, si la suffisance et le verbiage incompréhensible font maintenant partie ou non de l'univers bancaire. Je n'ai rien changé à la lettre, même pas une virgule. Et je rappelle que tout ce dont il est question ici, c'est d'une cliente qui veut simplement effectuer un petit dépôt dans son REER...

Claude Picher, LA PRESSE, samedi 3 mars 2001.

Troisième Texte

Monsieur Picher,

La lecture de votre chronique d'aujourd'hui (jeudi, le 1er mars) me laisse, pour tout dire, un peu pantois. Car comme vous n'êtes sans doute pas sans le savoir, il est toujours quelque peu hasardeux de tirer une conclusion générale à partir d'une prémisse particulière. En logique, ce type de raisonnement est appelé un raisonnement inductif; dans les sciences empiriques, on y réfère souvent par le terme de "généralisation empirique", laquelle est à la base d'induction de toute manière. Or, l'induction pure, telle que celle que vous avez réalisée dans votre texte, pose de sérieux problèmes de validité logique (en termes de vérification des conditions formelles de vérité), sans oublier que, d'un point de vue empirique, toute généralisation doit respecter un certain nombre de règles méthodologiques, et en particulier retenir des ensembles stables de variables identifiant des phénomènes comparables. De sorte qu'en toute rigueur, le cas que vous exposez n'est pas une condition ni suffisante ni nécessaire à une généralisation de ce que vous identifiez comme problème étendu à la totalité de notre institution. En d'autres termes, un cas d'espèce est un cas d'espèce. Et je suis sûr que les plaintes reçues par votre collègue Michel Girard ne concernent pas toutes la Banque Nationale. (Veuillez noter au passage que nous recevons et traitons pas moins de 300 plaintes par mois, et ce, à la satisfaction des plaignants dans la grande majorité des cas.)

Voilà pour la partie, disons, philosophique de ma réaction à votre chronique. Quant à ce qui a trait maintenant à son contenu propre, mis à part l'historique que vous faites du déficit qui y est postulé quant à la qualité du service à la clientèle des banques canadiennes, je dois reconnaître qu'il est de toute évidence dommage que la cliente dont vous parlez ait été reçue avec si peu de respect et de déférence, si tant est que l'événement se soit effectivement produit de la manière que vous le décrivez. Je ne mets pas en doute, ce disant, votre parole ni celle de votre source. Mais il est hors de tout doute qu'aucune entreprise ne peut se permettre de faire l'économie de ses relations à ses clients.

Il est peut-être opportun que vous sachiez que le recrutement des employés dont c'est la tâche que de servir directement nos clients est effectué en fonction de critères visant l'identification de fortes dispositions individuelles à développer des liens avec les clients. La sociabilité, l'entregent, l'empathie ne sont que quelques-uns parmi ces critères. La Banque Nationale parvient-elle à rencontrer ses objectifs de recrutement? Pour la très vaste majorité des cas, la réponse est positive. La Banque Nationale manque-t-elle parfois la coche? Le nier serait ridicule. Or, ce qu'il faut savoir, c'est que toute difficulté à cet égard peut et doit être corrigée avec célérité. Et les moyens pour ce faire existent. La preuve empirique, pour demeurer dans le ton de mon premier paragraphe, en est que la fidélité des clients envers la Banque Nationale est très élevée comme en témoigne d'ailleurs leur faible taux de migration vers nos concurrents.

Vous contesterez probablement ces arguments en mettant en exergue la dimension morale ou éthique de votre propre argument. En particulier en rappelant à vos lecteurs que les services offerts en général par les institutions financières ou par la Banque Nationale lèsent des pans entiers de la population. Vous en parlez en termes de responsabilité corporative. Voilà un beau sujet de discussion, sur lequel il me ferait très plaisir d'échanger avec vous dans un autre contexte.

Je reconnais cependant que l'argument moral ou éthique (selon le point de vue que l'on adopte) est celui qui a la plus grande portée sur vos lecteurs et sur l'opinion à propos des banques en général. Une portée négative, faut-il encore le préciser. Il me faut également reconnaître que les institutions financières n'ont pas fait preuve d'une grande habilité dans leurs communications à cet égard, en ne cernant qu'avec beaucoup d'imprécision les enjeux directement liés à la seule dimension morale du débat. Nous avons donc du travail à faire dans ce sens. Et la Banque Nationale parviendra peut-être à corriger la façon dont son service à ses clients est compris. L'avenir le dira.

Or, veuillez me croire quand je dis que ce n'est pas qu'une question d'"image", dans la mesure où la presque totalité des commentateurs, analystes et spécialistes de la question n'ont qu'une idée approximative, et très peu documentée, sur ce qu'est ou n'est pas cette fameuse "image". Je ne m'étendrai pas sur le sujet, puisque voilà un autre beau sujet d'échange. Or, tenter de faire la démonstration des valeurs éthiques, comme par exemple celle du respect des individus, dans le cadre d'une relation d'affaires est une chose complexe. Le droit de parole à cet égard revient davantage aux médias et à leurs représentants qu'aux entreprises. Les raisons de ce fait sont historiquement et sociologiquement identifiables. Je n'en discuterai pas ici non plus, puisque je veux laisser entendre que nous aurions plusieurs sujets de discussion lorsque l'occasion nous sera donnée à vous et moi de partager nos idées. Et je ne m'en plains nullement, croyez-le. Il nous revient, et il me revient plus spécifiquement au sein de la Banque Nationale, de développer les outils qui permettront qu'un tel objectif puisse un jour être approché.

Pour l'heure, je dirai que l'argument moral ne peut que très difficilement soutenir ou servir à fonder une analyse factuelle, et vice versa. Rappelez-vous le fameux "is ought problem" discuté par David Hume il y a de cela quelques siècles. Près de nous, un autre philosophe, Mario Bunge, de l'Université McGill, établit clairement que ces deux aspects d'une analyse, bien que reliés, ne peuvent intervenir dans le raisonnement scientifique stricto sensu. Or, un journaliste fait-il de la science? Bien sûr que non! Mais il n'en est pas moins tenu à la même rigueur sur le plan de la méthode.

Bien à vous,

Jean Robillard, Ph.D.
Chef des relations de presse et des communications financières
Service des relations publiques
Banque Nationale du Canada

PS: Peut-être pourriez-vous me communiquer les renseignements sur cette cliente. Je suis certain qu'elle apprécierait que je la contacte.

Claude Picher, LA PRESSE, samedi 3 mars 2001.

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© Victor Thibaudeau, mai 2008