Les fondements

B- Une solution partielle

Il faudrait sans doute inclure dans les programmes au moins un cours centré sur le développement de ces habiletés. [note 8] Cette approche soulève cependant diverses difficultés ou oppositions.

D'abord, les cours directement liés à la discipline ou au champ d'études et les cours de formation générale sont perçus par plusieurs comme visant des objectifs qui s'opposent. Pour plusieurs, la place accordée dans un programme à un cours de formation générale, c'est toujours et irrémédiablement une place enlevée à un cours important pour le programme et c'est par conséquent la source potentielle d'une lacune dans la formation spécialisée des étudiants concernés. [note 9]

Or, cela est en partie vrai : il y a sans doute un conflit entre les cours de spécialité et les cours de formation générale lorsqu'on pense à des cours d'anglais, d'informatique, d'histoire, d'administration, etc. Mais nous croyons que le temps qu'un étudiant ou une étudiante investit dans un cours de logique pour connaître et pour apprendre à manipuler les outils généraux de la pensée ne peut en aucune façon se solder par une lacune dans sa formation spécialisée. C'est tout le contraire : une personne qui sait penser et qui a développé des habiletés qui l'aident à apprendre ne peut être qu'un meilleur étudiant dans sa spécialité et, en fin de compte, un meilleur spécialiste. C'est pourquoi il nous paraît souhaitable que chaque programme comporte -- parmi ses cours à option, ou dans une liste de cours au choix fortement recommandés -- au moins un cours donnant l'occasion d'être mis en contact avec certaines notions fondamentales en logique et, surtout, donnant l'occasion d'appliquer de telles distinctions à un niveau proprement universitaire. [note 10]

Nous savons cependant que l'inclusion dans les programmes d'un cours de logique, aussi bon soit-il, est ou serait une solution seulement partielle. L'atteinte adéquate des objectifs de formation touchant la maîtrise d'habiletés d'ordre logique suppose en effet deux conditions qui, en général, ne sont pas réunies :

Il faut d'abord que le besoin d'habiletés d'ordre logique soit évident à l'intérieur même des cours disciplinaires ou professionnels.

Sans cela, l'étude de notions et d'outils d'ordre logique faite dans un éventuel cours dédié à ces sujets est perçue par les étudiants et étudiantes comme une parenthèse dans leur formation spécialisée, comme une considération étrangère, supplémentaire et plus ou moins accessoire.

Mais surtout, il faut que ce qui est enseigné dans un cours de logique soit poursuivi et mis en pratique dans les cours disciplinaires ou professionnels.

Un étudiant peut difficilement acquérir la maîtrise d'une habileté d'ordre logique si le besoin d'une telle maîtrise n'est pas évident à l'intérieur même des cours disciplinaires ou professionnels et si ce qui a été commencé à ce sujet dans un cours de logique n'est pas prolongé dans les cours disciplinaires ou professionnels. Autrement, c'est comme si on devait faire des cours de ski sans en ressentir le désir ou le besoin et comme si, après quelques leçons, on ne rechaussait plus jamais de skis. Le développement de toute habileté présuppose un besoin et demande que l'activité visée soit répétée souvent, et cela dans des situations réelles.

Ainsi, pour être capable à la fin d'un baccalauréat de définir correctement un phénomène, un objet, un être, il faut savoir au moins sommairement ce qu'est une définition, connaître ses règles, ses défauts possibles, ses diverses formes acceptables; par ailleurs, il faut avoir eu l'occasion, pendant son baccalauréat, d'appliquer ces connaissances dans des matières à l'étude. De même, pour être capable de distinguer les divers niveaux d'argumentation et de ne pas confondre un indice léger avec une démonstration ou un exemple avec une preuve rigoureuse, il faut avoir étudié un peu ce qu'est un argument, connaître ses exigences, ses défauts possibles, ses diverses formes; mais il faut aussi avoir eu l'occasion de faire ces distinctions dans les cours directement liés à la discipline ou au champ d'études, sur des sujets à l'étude.

Mais il y a une autre raison encore de lier intrinsèquement ce qui est étudié dans un cours de logique à ce qui est fait dans les programmes spécialisés. C'est qu'une habileté d'ordre logique fait presque toujours intervenir deux types de considérations : une connaissance d'ordre essentiellement logique, et une connaissance de la matière sur laquelle on l'applique. C'est pourquoi on ne peut pas, du haut de sa chaire de logique, décréter qu'une notion de physique nucléaire ou d'histoire médiévale est mal définie, qu'un argument n'est pas pertinent ou qu'il est mal appuyé -- à moins de connaître très bien les sujets en question. À l'inverse, pour faire correctement une telle analyse, il faut être capable d'établir diverses distinctions d'ordre logique et pour cela il est utile d'avoir de bonnes connaissances en logique. Ainsi, on peut dans un cours de logique commencer à étudier quelques principes qui aident à mieux organiser les connaissances que l'on a; mais pour que cette étude débouche sur une réelle maîtrise des habilités en jeu, il faut que ces habilités soient pratiquées avec des connaissances réelles et importantes pour l'étudiant visé -- c'est-à-dire avec des connaissances liées à la discipline ou au champ d'études en question.

Il est donc essentiel que des considérations d'ordre logique soient présentes dans divers cours directement liés à la discipline ou au champ d'études. Idéalement, en même temps que l'on forme sur le plan disciplinaire ou professionnel, il faudrait donner un enseignement portant spécifiquement sur l'organisation des connaissances et sur leur expression rigoureuse. Mais cela soulève une autre difficulté importante, comme nous le verrons à l'instant.

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© Victor Thibaudeau, mai 2008