Les fondements

C- La difficulté de contribuer au développement d'habiletés d'ordre logique à l'intérieur des cours directement liés à la discipline ou au champ d'études

Contribuer au développement d'habiletés d'ordre logique chez l'étudiant et l'étudiante en même temps qu'on les forme sur le plan disciplinaire ou professionnel peut exiger beaucoup de temps et d'énergie. Il ne suffit pas en effet pour un professeur d'être lui-même un modèle de rigueur et de cohérence; il ne suffit pas non plus qu'un professeur ponctue ses exposés de remarques méthodologiques et de commentaires d'ordre logique portant sur des auteurs ou des doctrines à l'étude.

Certes, il peut être formateur pour un étudiant de voir l'un de ses professeurs faire de savantes distinctions d'ordre logique. Mais ce n'est pas en regardant les forgerons procéder que l'on devient forgeron : c'est plutôt en forgeant soi-même. C'est pourquoi il faut donner aux étudiants l'occasion d'exercer eux-mêmes leurs habiletés d'ordre logique -- par exemple lors de leurs exposés en classe et à l'occasion de leur travaux de recherche et de rédaction. Toutefois, cela suppose aussi que, lors de l'évaluation d'un travail, d'un examen ou d'un exposé, le professeur aille au-delà de la simple vérification des éléments de contenus. Il faut par exemple qu'il prenne la peine de rédiger quelques commentaires d'ordre logique en marge des textes des étudiants. [note 11] Mais, outre le temps exigé, cela présuppose des compétences que le professeur n'a pas toujours ou, à défaut, une méthode permettant de le faire facilement et adéquatement.

En effet, tout enseignant universitaire peut certes sentir que quelque chose ne va pas dans un texte; mais il peut avoir certaines difficultés à préciser la nature du problème ou avoir certaines difficultés à l'exprimer par écrit, simplement et rapidement, à l'étudiant visé. C'est pourquoi on se contente souvent, en corrigeant un texte, de mettre un point d'interrogation en marge d'un passage problématique ou un trait ondulé pour dire que quelque chose ne va pas. Malheureusement, cela n'est pas très formateur pour l'étudiant. On lui dit que quelque chose ne marche pas, mais on ne lui dit pas quoi exactement ni pourquoi cela ne marche pas.

Est-ce...

  • parce que le lien entre ce qui précède et ce qui suit n'est pas évident?
  • parce que l'argument présenté est faible ou manque de nuance?
  • parce que le point de vue exprimé n'est pas suffisamment documenté?
  • parce que l'idée développée dans le passage en question n'est pas clairement au service de l'idée directrice?
  • parce que le ton est inutilement savant et compliqué? ou trop familier? ou trop rhétorique?
  • parce qu'un terme utilisé est équivoque ou trop vague?
  • parce qu'une phrase est trop lourde? ambiguë? non grammaticale?
  • parce que la précision ou l'explication apportée dans le passage considéré aurait dû venir plus tôt? parce qu'elle nécessiterait un exemple? parce qu'elle aurait besoin d'être davantage développée? parce qu'elle est trop générale?
  • parce qu'une citation est mal comprise ou mal intégrée?
  • parce qu'une certaine notion n'est pas définie et qu'elle mériterait de l'être?
  • parce qu'un point de vue exprimé est en contradiction avec ce qui est dit dans une autre partie du texte?
  • parce qu'on est devant une affirmation gratuite?
  • parce que l'argument est circulaire?

On voit bien en lisant ces questions inspirées de la liste associée à la méthode des 88 clefs (que nous présenterons plus en détail dans les pages qui suivent) qu'un problème d'ordre logique identifié dans un texte rédigé par un étudiant peut avoir diverses sources et que les problèmes en question peuvent être d'importances inégales. Or, sans plus de précision, sans un commentaire précis et parfois relativement élaboré, un point d'interrogation en marge d'un texte laisse l'étudiant perplexe et, dans l'immense majorité des cas, ce n'est pas pour lui une occasion d'apprendre. [note 12]

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© Victor Thibaudeau, mai 2008