Le langage et l’invention des valeurs

Heure: 15h30 à 17h
Lieu: FAS-813
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Conférence de Ronald de Sousa
Dans le cadre des Ateliers de philosophie moderne et contemporaine
Thomas Hobbes s'était demandé pourquoi les fourmis semblent plus adeptes à la coopération que les humains. Sa réponse : c'est que les fourmis ne parlent pas. Je me propose de développer ici cette idée. Si les animaux peuvent entrer en conflit quand leurs désirs et leurs intérêts sont incompatibles, ils ne sauraient en discuter sans pouvoir en parler. Or ni désirs in intérêts ne suffisent pour qu'on puisse parler de valeurs. Ce n'est qu'en conséquence de débats ou de conversations à son propos qu'un désir peut devenir une raison. Les raisons sont nécessairement généralisables : ce n'est donc que lorsque les intérêts particuliers d'un animal deviennent des raisons contestables qu'ils sont transmués en valeurs. Deux conséquences sont particulièrement notables : d'abord, parce qu'une phrase ou un mot, si explicite qu'il soit, ne saisit jamais un sentiment ou un désir de manière absolument précise, toute généralisation tend à soulever des doutes ou des objections, non seulement entre interlocuteurs mais dans l'esprit même d'une seule personne. Deuxièmement, un désir, une fois explicité, rend possible le raisonnement. Le raisonnement amène de nouvelles formules, qui donnent lieu à leur tour à des évaluations complexes soumises à des tests de cohérence. Il s'agit alors de valeurs proprement dites ; celles-ci demeurent contestables et engendrent explications, querelles, ou autres modes d'argumentation. Hobbes avait donc raison : les fourmis collaborent plus efficacement parce qu'elles n'agissent pas sous l'empire de valeurs, et elles n'ont pas de valeurs parce qu'elles ne disent rien.
Ronnie de Sousa, professeur émérite à l'université de Toronto, est un philosophe reconnu pour ses contributions fondatrices à la philosophie des émotions et à la philosophie de la biologie. Il a étudié en Angleterre (BA, Oxford) et aux États-Unis (PhD, Princeton). Il a ensuite rejoint le département de philosophie de l'Université de Toronto où il a enseigné tout au long de sa carrière. Nombre des débats qui animent aujourd'hui la philosophie des émotions trouvent leur origine dans son livre The Rationality of Emotion (MIT Press, 1987). Ses recherches, caractérisées par leur richesse et leur interdisciplinarité, se sont ensuite poursuivies dans de nombreux domaines, notamment ceux de la philosophie de la biologie (Why Think ? Evolution and the Rational Mind, OUP, 2007) et de l'amour (Love: A Very Short Introduction, OUP, 2015).
Date et heure : Mercredi le 19 avril 2023, de 15h30 à 17h au FAS-813